Les tressaillements des rouges et des bleus

Il n’est aucune image qui puisse rendre compte de la peinture actuelle de Gilbert Herreyns tant le contact direct avec sa matérialité, sa réalité physique, est indispensable. Cette peinture, depuis son exposition précédente, a subi un choc, elle s’est littéralement transformée. A première vue, on pourrait penser qu’il poursuit simplement, dans une qualité égale et fort appréciée, dans la voie abstraite qu’on lui connaît, car la structure de ses œuvres ne varie pas fondamentalement. Pourtant, si la ligne de conduite ne change effectivement pas dans ses principales données structurelles et orientations esthétiques, la peinture a énormément gagné en intensité et devient un champ vibratoire comme on en rencontre peu. De chacune des toiles jaillit non seulement une luminosité colorée et un rayonnement dont les effets sont immédiats sur la rétine, mais chaque peinture est devenue un espace dans lequel la matière chromatique agit comme si elle était en mouvement constant. Comme si on pouvait percevoir au-delà de ce que propose la surface, l’action des molécules qui constituent la couleur.

Cette approche picturale n’est pas à confondre avec l’op’art même si des parentés existent, puisque l’on sait parfaitement que l’association, le rapprochement, la contiguïté, de certaines tonalités, surtout associés à une répétition linéaire, provoquent des effets visuels et déforment la vision. Si ces éléments jouent parfaitement leur rôle, c’est néanmoins leur gestion particulière et la texture chromatique qui détiennent ici le vrai pouvoir de faire vivre chaque tableau. En travaillant essentiellement deux couleurs, le rouge et le bleu qui ne sont réunies que dans un seul tableau, en leur offrant mille nuances, en y joignant parfois le blanc, parfois très discrètement le noir, Gilbert Herreyns concentre les atouts pour obtenir des toiles d’un matiérisme extraverti dégageant une incroyable énergie.

L’un des secrets de l’artiste outre qu’il s’est imposé une méthode est, à l’inverse, la liberté avec laquelle il agit et qu’il transmet à la couleur elle-même dans une part des interventions. Bannissant les aplats neutres et uniformes, il “sensualise” sa matière, il la sensibilise de façon à ce qu’elle soit réactive en jouant de finesse et y superpose une série de coulures verticales qu’il ne conduit que très partiellement, la laissant tracer son propre chemin. La rencontre du traitement de fond et de cette linéarité incertaine aux frontières souples et irrégulières engendre une vitalité diffuse impressionnante et captivante.

Claude Lorent
Critique d’art