L’art dans la ville

L’art dans la ville est un art en liberté qui peut surgir partout, même sous la terre!
La création du métro de Bruxelles a permis des initiatives dans ce sens…

Ce sont d’abord une dizaine de stations qui ont reçu la marque d’artistes sélectionnés par une commission artistique. Ceux-ci avaient carte blanche pour réaliser selon leur goût l’environnement d’une station qui leur était attribuée.

Dans un tout autre esprit, les maîtres d’œuvre de l’entreprise ont recouru à des artistes — souvent jeunes – pour créer ce qu’on appelle des intégrations. Nous parlerons de celle qui est réalisée en ce moment à la station de Tomberg (Woluwé-St-Lambert). Elle a été conçue par l’artiste-peintre Gilbert Herreyns.

L’intégration est la rencontre de l’art et de l’architecture. Elle suppose un art qui sache se plier à toutes les composantes de l’architecture. C’est-à-dire un art qui, loin d’effacer cette dernière, lui donne ce pouvoir d’évocation qui fait la magie d’un lieu. Ouverture dans la terre et son Cerbère de lettres : DEFENSE ABSOLUE DE PENETRER DANS LE CHANTIER. On passe outre. Nous sommes du chantier! Ce qui veut dire enjamber les matériaux. Ceux-là même que nous ne toucherons jamais, vu que nous ne sommes pas du chantier… Etrangers dans la terre. Pas « sur ››, dedans. Prise de photos. Lumière froide des néons. Pas de flash. Du continu, les rails qui traversent de part en part la future station. La station !… Arrêt du métropolitain : Tomberg! Station de la tombe? Et pourquoi pas sur la tombe? Recueillement. Mon ami l’a fait recouvrir de céramiques. 20 x 20 cm. Quelque 35.000!

Thème : un trait de lumière bleu traverse un espace sablé. Nihil bleu. Quatre modèles. Une céramique jaune ou le vide. La même traversée par une diagonale bleue. La troisième vide comme la première, si ce n’est cette verticale bleue écrasée contre le côté droit. Enfin, la quatrième réunit les motifs des deux précédentes! Basé sur ces quatre figures, un module est déterminé. Prêt à jouer sur 1.500 m2. Jeu d’un module, bien sûr! Mais aussi sa dissolution au profit d’ensembles plus vastes. Diffusion de plans et d’espaces figurés, distorsions de champs, parcours fléchés, larges motifs. Tout un réseau d’orientation qui va rejouer les grandes fonctions de l’architecture présente : entrées-sorties, murs des quais, escalators, plate-formes, etc. Jeu du même et de l’invisible – le module – qui doit s’adresser aussi bien aux voyageurs emportés par une rame qu’à ceux qui viennent, qui sortent ou simplement attendent… C’est ça l’intégration !

Mais aujourd’hui, le jeu, le vrai jeu, c’est la pose des carreaux sur les emplacements de béton. Herreyns surveille les erreurs. » Le petit carreau a gauche, il faut le retourner. ›› Coup d`œil du contre-maître sur le plan. « Avec toutes ces lignes, je ne vois plus que des lignes! ›› se plaint-il. Le métro a aussi les siennes. Un camion bleu-nuit suit docilement la voie ferrée. Avatar de métro? Des hommes en descendent. Peut-être décharger du sable. Je ne me souviens plus. Le jaune sort du bleu. lnversion. Photo. Quelque chose a été touché. Pas encore, le développement. L’ultérieur. Dans un mois, la station est achevée. Tenez-vous bien; cela aura coûté moins cher qu’un bête recouvrement en matériau noble! Bravo l’architecte! Allez, on remonte! Dernière image : un établi tout seul. L’établi sous la terre! Adieu. Sortie vers la lumière. La ville… d’autres chantiers: c’est bien Bruxelles! Ah oui! L’art dans la ville… Un aveugle accordéoniste et les quais de la station souterraine couverts de fleurs. Le gros camion bleu s’éloigne indéfiniment. Merci Gilbert!

Michel Empain (1941-2000)
Poète
Magazine Arts Libres
Bruxelles, 1975