De l’incidence de la pratique de la peinture chez Gilbert Herreyns

A ceux qui voient sans jamais regarder, à ces ambitieux qui pensent établir l’histoire d’avance, à ceux-là que n’intéresse plus la peinture ou -souvent corollaire-
l’estiment historiquement morte, je dis à ceux-là de ne pas aller plus avant, la peinture de Gilbert Herreyns ne les concerne pas.

Car c’est la peinture, pour ses éléments premiers, abstraite, celle dont le sujet et les moyens se confondent, que pratique Gilbert Herreyns.

Cette accession à la peinture idiomatique et plus loin à la remise en cause de la peinture elle-même, s’est manifestée depuis Manet à travers une succession de mouvements. Tous, par subversions multipliées du sujet tant que par la conquête de la peinture pour elle-même, ont créé des aires d’explorations nouvelles pour le regard.

La cadence d’expressions si rapidement renouvelées, et plus généralement, l’accélération unique de l’histoire au XX siècle, a réciproquement engendré nombre de confusions et de classifications sans doute trop hâtives ou trop générales.

Et de s’apercevoir très vite que l’étiquette brumeuse et galvaudée de monochrome ne convient pas à Gilbert Herreyns: qu’il faut nous intéresser au mode opératoire de ses tableaux pour en examiner la filiation mais surtout en déterminer l’essence.

La pratique de la peinture chez Gilbert Herreyns semble dire de manière ostentatoire l’économie des moyens, comme un tribut à l’histoire. Rien de remarquable.
Les matériaux sont usuels et disponibles; au plus dénotent-ils un type de lieu, qui est celui de vie, où voit le peintre. Les tableaux sont majoritairement peints à l’huile, à la fois pour la capacité de mélange aux pigments autochtones mais aussi pour la fluidité, la transparence de ce médium.

Quelques fois la technique ancienne de la tempera et d’autres adjuvants contemporains s’ajoutent à l’huile: ils permettent d’autres finesses d’exécution, ils autorisent des recouvrements plus chargés ou simplement allègent les modalités du travail.

En regard de ces matériaux courants, la banalité du geste du peintre est évidente.
Traits ou points semblent être le sceau de l’instrument qui les a portés, de la taille du pinceau, de sa capacité à retenir et libérer la couleur.

La répétition des traits, des points et parfois leur combinaison élaborent des surfaces en grilles plus ou moins complexes selon les époques du travail. A l’aune de ce parcours, voilà l’affirmation vers le simple, vers “du plus économe », vécu comme richesse.

La technique de la gravure, depuis longtemps pratiquée, accélère cette tendance.

Elle remet en cause la manière d’opérer d’une série achevée de travaux, se méfie des tics, envisage d’autres peintures. Expérience dans l’expérience, les gravures, si entachées de leurs surfaces rapidement pressées, sont cependant traitées individuellement, et à exception de rares éditions, souvent uniques.

Là, comme dans les peintures, le savoir-faire reste absent, et ne se laisse voir qu’une répétition, une accumulation en strates dont la surface réussie trouble. Les couleurs semblent n’exister avant tout que pour leur valeur de contraste; la surface est nuancée jusqu’à l’imperceptible, jusque dans ses transparences; rien n’y est flou, mais la vision tremble et se perd en regard du tableau. Chaque trait ou point, fusionnent en un champ opérant, en une vibration intense qui entraîne le spectateur dans l’exploration et le retient dans un type de regard iconique. Cette qualité du regard qu’inauguraient quelques peintres vers les années vingt, qu’induit Monet avec ses Nymphéas, que poursuivit Rothko et quelques autres, Gilbert Herreyns veut y mener ses tableaux.

Cette volonté du peintre témoigne alors de sa marginalité aux soubresauts des événements picturaux et inscrit la production dans un temps non-vernaculaire. Ce temps altéré est aussi celui de la pratique dont le mode d’exécution seul suffit à
produire du sens mais qui cherche à établir la présence -” l’expression d’un lointain aussi proche soit-il” notait Walter Benjamin-, est un savoir être qui justifie la pratique en l’authentifiant. Parce que le tableau réussi est chez Gilbert Herreyns cette modalité de vison, une présence au monde, une création.

Cette proposition de voir est invitation à y voir. Quand le peintre étire les heures et sa toile de graphies répétées, qu’il détient les jours d’un rouge de terre, le métier s’avère pratique de vie, et partant, union philosophique fusse-t-elle de raison, car seuls les fous imaginent que la création est joie, alors qu’elle n’est que choix.
Gilbert Herreyns peint une attitude, un choix vital. Ses graphies colorées sont des soutras, ses tableaux des derviches tourneurs, sa tentative une cosmogonie.

Michel Mouffe
Bruxelles, Mars 1997
Catalogue GILBERT HERREYNS. Peintures -Ibiza 96/97- New York 92/93